Page:Petrarque - Les Rimes de.djvu/144

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mais sur l’aide cachée qui lui vient du dehors ; or, bien que cela me pèse, je devins injurieux et importun, car le malheureux qui est à jeun, en arrive parfois à commettre des actes qu’il aurait blâmés chez autrui, s’il eût été en meilleur état. Si l’envie m’a fermé les mains de la pitié, ma faim amoureuse et mon impuissance à faire autrement, doit être mon excuse.

Car j’ai déjà cherché plus de mille voies pour voir si, sans ces yeux, il y aurait chose mortelle au monde qui pût tenir un seul jour mon âme en vie, puisqu’elle ne trouve pas de repos ailleurs, et qu’elle court uniquement aux angéliques étincelles. Et moi, qui suis de cire, je retourne au feu ; et j’observe tout autour de moi pour voir où l’on fait le moins de garde à ce que je désire. Et comme l’oiseau sur la branche, là où il craint le moins, il est plutôt pris ; ainsi de son beau visage, je ravis de temps en temps un regard, et je me nourris de cela, en même temps que je m’en consume.

Je me repais de ma mort et je vis dans les flammes ; étrange nourriture et étonnante salamandre ! Mais ce n’est point un miracle ; c’est Amour qui le veut. Je fus quelque temps tranquille ; maintenant en dernier lieu Fortune et Amour me traitent selon leur habitude. Ainsi le printemps a les roses et les violettes, et l’hiver la neige et la glace. Donc, si de côté et d’autre je pourchasse des aliments pour ma courte existence, on dit que je suis un voleur ; si riche dame doit être satisfaite de ce qu’autrui vive de son bien sans qu’elle s’en aperçoive.

Qui ne sait que je vis et que j’ai toujours vécu du jour où j’ai vu, pour la première fois, ces beaux yeux qui m’ont fait changer de vie et d’habitude ? À cher-