Page:Petrarque - Les Rimes de.djvu/175

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Amour a noué mon cœur, et, ainsi pris, le mène à la mort ;

Ô beau visage, qui me fut donné par un cruel destin, et grâce auquel je pleure toujours et n’ai jamais la moindre joie ; ô douce tromperie, fraude amoureuse, rendez-moi un plaisir qui ne m’apporte que douleur.

Et si parfois des beaux yeux suaves où ma vie et ma pensée habitent, il m’arrive par hasard de recevoir quelque chaste faveur,

Soudain, afin de dissiper tout mon bonheur et d’éloigner de moi tout mon bien, la Fortune, toujours si prompte à me faire du mal, envoie soit des chevaux, soit des navires.


SONNET CXCV.

Ne recevant plus de nouvelles de Laure, il craint qu’elle soit morte, et sent qu’il est lui-même près de sa fin.

J’ai beau écouter, je n’entends pas de nouvelles de ma douce et bien-aimée ennemie, et je ne sais ce qu’il faut que j’en pense ou que j’en dise, tellement la crainte et l’espérance me poignent le cœur.

Être si belle a jadis nui à plus d’une ; celle-ci est plus belle que toute autre, et plus pudique. Peut-être Dieu veut-il enlever à la terre une pareille amie de la vertu, et en faire dans le ciel une étoile,

Ou plutôt un soleil ; et si cela est, ma vie, mes courts instants de repos et mes longs tourments sont venus à leur fin. Ô dure départie,

Pourquoi m’as-tu éloigné de celle qui causait mes maux ? Mon illusion si courte est déjà disparue, et mon temps est accompli au milieu de mes années.