Page:Petrarque - Les Rimes de.djvu/183

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en dedans de l’âme où il pèse d’un pied fatigant et délicieux, oppresse le cœur de désir, le repaît d’espérance ; car rien que l’amour de la renommée glorieuse et éclatante fait que je ne sens pas quand je gèle ou quand je brûle, si je suis pâle ou maigre ; et si j’étouffe cette pensée, elle renaît plus forte. Depuis le temps où je dormais dans le maillot, elle m’a suivi grandissant de jour en jour avec moi, et je crains qu’un même sépulcre ne nous enferme tous deux. Quand l’âme a dépouillé les membres, ce désir ne peut plus la suivre. Mais si le Latin et le Grec parlent de moi après la mort, ce n’est rien que du vent ; aussi, comme je redoute d’amasser sans cesse ce qu’une heure disperse, je voudrais embrasser le vrai, et laisser les ombres.

Mais cet autre vouloir dont je suis rempli, semble étouffer tous ceux qui naissent à côté de lui ; et le temps fuit tandis que j’écris sur un autre sans souci de moi-même ; et la lumière des beaux yeux, qui me consume délicieusement à sa tiède clarté, me retient avec un frein contre lequel aucun esprit, aucune force ne me garantissent. À quoi sert donc que ma petite barque soit toute goudronnée, puisqu’elle est encore retenue parmi les écueils par deux liens pareils ? Toi qui m’as délivré complètement des autres liens qui, de diverses façons, enchaînent le monde, ô mon Maître, que n’enlèves-tu désormais cette honte de mon visage ? Car, ainsi qu’un homme qui rêve, il me semble avoir la mort devant les yeux ; et je voudrais me défendre, et je n’ai point les armes pour cela.

Ce que je fais, je le vois ; et je ne suis pas trompé par la vérité que je connais mal, mais je subis la volonté de l’Amour qui ne laisse jamais suivre le