Page:Petrarque - Les Rimes de.djvu/225

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Et pendant que je le regardais fixement, le ciel changea tout autour de lui, et, prenant un aspect sombre, le frappa d’un coup de foudre qui déracina soudain cette plante fortunée ; c’est de là que ma vie est triste, car pareil ombrage ne se retrouve jamais.

Une claire fontaine, en ce même bosquet, sortait d’un rocher et répandait ses eaux fraîches et douces avec un murmure suave. Pâtres ni laboureurs n’approchaient de ce beau séjour ignoré, ombreux et sombre, mais les nymphes et les muses venaient chanter à ses accords. Là, je m’assis ; et au moment où je goûtais le plus de douceur à un pareil concert et à une telle vue, je vis s’ouvrir une caverne qui engloutit la fontaine et le site tout entier ; de quoi je ressens encore de la douleur, et le seul souvenir m’en épouvante.

Ayant vu un phénix étranger, avec les deux ailes vêtues de pourpre et la tête d’or, aller par la forêt altier et solitaire, je crus voir d’abord une forme céleste et immortelle, jusqu’à ce qu’il arrivât au svelte laurier et à la fontaine engloutie par la terre. Chaque chose vole au trépas ; car ayant regardé les feuillages épars à terre, et le tronc brisé, et cette source vive desséchée, il tourna son bec contre soi-même, quasi plein de dédain, et en un instant il disparut ; de quoi mon cœur brûle de pitié et d’amour.

Enfin, je vis parmi les fleurs et l’herbe, marcher, pensive, une si gracieuse et si belle dame, que je n’y pense jamais sans brûler et trembler ; elle était humble en son maintien, mais pleine de superbe contre Amour ; et elle avait sur le corps une robe si blanche, tissée de telle sorte qu’elle semblait être à la fois d’or et de neige. Mais le haut de son corps était enveloppé