Page:Petrarque - Les Rimes de.djvu/269

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Et il commença : « — Il y a grand temps que je pensais te voir ici parmi nous : car dès tes premières années, ta vue me donnait de toi un semblable présage. — »

« — Et ce fut bien vrai ; mais les amoureux soucis m’épouvantèrent si bien que j’abandonnai l’entreprise ; mais j’en porte la poitrine et les vêtements déchirés. — »

Ainsi dis-je, et lui, quand il eut entendu ma réponse, dit en souriant : « — Ô mon fils, quelle flamme est allumée pour toi ! — »

Je ne le compris pas alors ; mais maintenant je retrouve ses paroles si bien gravées dans ma tête, que jamais rien n’a été plus solidement gravé dans le marbre.

Et à cause du jeune âge qui rend hardis et prompts l’esprit et la langue, je lui demandai : « — Dis-moi, de grâce, quels gens sont ceux-ci. — »

« — D’ici à peu de temps tu le sauras par toi-même, — répondit-il, — et tu en seras. Tel est le lieu qu’on te destine, et tu ne le sais pas.

« Et tu changeras de visage et de cheveux, avant que le lien dont je parle ait été dénoué de ton col et de tes pieds encore rebelles.

« Mais pour satisfaire ton juvénile désir, je te parlerai de nous, et premièrement du Maître qui nous enlève ainsi la vie et la liberté.

« C’est là celui que le monde nomme Amour ; cruel, comme tu vois, et comme tu le verras mieux quand il sera devenu ton maître, ainsi qu’il est le nôtre.

« C’est un doux enfant et un féroce vieillard ; bien le sait qui l’éprouve ; et cela te sera chose pleinement claire avant mille ans, et dès à présent je t’en avertis.