Page:Petrarque - Les Rimes de.djvu/308

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tenu pendant de nombreuses années mon désir dans le doute. — »

À peine eus-je dit ces paroles, que je vis briller ce doux rire qui était autrefois un Soleil pour mes facultés abattues.

Puis elle dit en soupirant : « — Mon cœur n’a jamais été séparé de toi et ne le sera jamais ; mais je modérai ta flamme par la sévérité de mon visage ;

« Parce qu’il n’y avait pas d’autre moyen pour sauver, à toi et à moi, notre jeune renommée. Une mère qui donne le fouet à son enfant, ne l’en aime pas moins.

« Combien de fois me dis-je à moi-même : celui-ci m’aime ; bien plus, il brûle ; or il convient que je veille à cela ; et mal prend garde celui qui craint ou désire.

« Qu’il regarde le dehors et qu’il ne voie pas le dedans ; voilà ce qui te retint et te contraignit souvent, comme le frein retient le cheval.

« Plus de mille fois la colère était peinte sur mon visage quand Amour me brûlait le cœur. Mais jamais en moi le désir ne vainquit la raison.

« Puis quand je te voyais vaincu par la douleur, je tournais doucement les yeux vers toi, sauvant et ta vie et notre honneur.

« Et quand ta passion était trop puissante, je te saluais de la tête et de la voix, tantôt d’un air craintif, tantôt d’un air courroucé.

Voilà quels furent envers toi mes agissements et mes artifices : tantôt de douces complaisances et tantôt de fiers dédains ; tu le sais, car tu l’as chanté en mainte occasion.

« Parfois j’ai vu tes yeux si imprégnés de larmes, que j’ai dit : Il va mourir si je ne l’aide, je le vois bien.