Page:Petrarque - Les Rimes de.djvu/40

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apporte quelque accroissement à mes maux ; car voilà bien près de dix ans déjà que je ne fais que croître en ce désir, et je ne puis deviner qui m’en délivrera.

Et, puisque je me soulage un peu à parler, je vois, le soir, les bœufs déliés revenir des champs et des coteaux labourés. Et moi, pourquoi mes soupirs, pourquoi mon joug si pesant, ne me sont-ils pas enlevés pendant quelque temps ? Pourquoi, jour et nuit, mes yeux sont-ils mouillés ? Malheureux ! qu’as-tu voulu, quand, pour la première fois, tu les tins fixés sur le beau visage pour le graver, par l’imagination, en un endroit d’où, par force ou par artifice, on ne l’effacera jamais, jusqu’à ce que cet endroit devienne la proie de celle à qui tout revient ? Et je ne sais même pas bien encore à quel point je puis croire en elle.

Chanson, si avoir été avec moi du matin au soir t’a faite du même esprit que moi, tu ne voudras te montrer nulle part ; et tu te soucieras si peu des éloges d’autrui, qu’il te suffira d’aller de montagne en montagne, songeant à l’état où m’a réduit le feu de cette pierre vivante sur laquelle je m’appuie.


SONNET XXXV.

Il souhaite d’être changé en rocher, plutôt que de vivre au milieu de tant d’ennuis.

Pour peu que la lumière qui les éblouit de loin se fût un peu plus approchée de mes yeux, j’aurais entièrement changé de forme, comme elle-même se vit changer en Thessalie.

Et si je ne puis pas me transformer en elle plus que je ne suis déjà — non que cela me vaille merci — je serais du moins à présent une statue à l’attitude