Page:Petrarque - Les Rimes de.djvu/77

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se plaignent, et en se plaignant ils adoucissent ma douleur ; de sorte que je rends grâce à Amour, car je ne la sens plus, bien qu’elle ne soit pas moindre que d’habitude.

Les paroles accortes et sages, prononcées en silence, et les accents qui me déchargent de tout autre souci, et la prison obscure où est la belle lumière ; les violettes épanouies de nuit par les plaines, et les bêtes sauvages au dedans des murailles, et la douce peur, et le beau maintien, et le fleuve formé de deux fontaines, coulant en paix vers l’endroit pour lequel je pleure de désir et m’environnant partout où je suis ; l’amour et la jalousie m’ont enlevé le cœur, ainsi que les signes du beau visage qui me conduisent par une voie plus aplanie vers mon espérance, au terme de mes peines. Ô mon bien discret, et tout ce qui s’ensuit : tantôt la paix, tantôt la guerre, tantôt la trêve, ne m’abandonne jamais en ces ennuis.

De mes maux passés je pleure et je ris, parce que je me fie beaucoup à ce que j’entends. Je jouis du présent, et j’attends mieux. Et je vais comptant les années ; et je me tais, et je crie ; et je fais mon nid sur un beau rameau, et de telle façon que j’en remercie et que j’en glorifie le grand refus qui a fini par vaincre l’affection obstinée, et qui est imprimé en mon âme. Je serai entendu et montré du doigt ; pour cela je suis tellement poussé en avant, que je dirai seulement : tu n’as pas été si hardi. Que celui qui m’a blessé au flanc, me guérisse ; lui par qui j’écris en mon cœur plus encore que dans mes livres ; qui me fait mourir et vivre ; qui, en un seul moment, me glace et me réchauffe[1].

  1. Cette canzone, quel qu’en soit le motif, a été faite de façon à n’être comprise de personne. Bembo dit que c’est une enfilade