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Page:Petrarque - Les Rimes de.djvu/89

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veux ensuite le dépeindre moi-même, je n’y peux suffire, et il semble que je m’y consume en vain. Hélas ! c’est ainsi que j’ai perdu mon doux aide.

Comme l’enfant dont la langue est à peine déliée, et qui ne sait pas parler, mais que se taire ennuie, ainsi le désir me pousse à parler ; et je veux que ma douce ennemie m’entende avant que je meure. Si, par hasard, elle ne prend plaisir qu’à voir son beau visage et méprise tout le reste, entends-le, ô douce rive, et jette sur mes soupirs un voile si épais, qu’on redise perpétuellement combien tu me fus amie.

Tu sais bien que jamais si beau pied ne toucha la terre, comme celui dont tu as déjà été foulée ; et que c’est pour cela que mon cœur las et que mon corps fatigué reviennent toujours te confier leurs pensées. Que n’as-tu gardé l’empreinte de ses belles traces parmi l’herbe et les fleurs ! ma triste vie y aurait trouvé un apaisement en y venant pleurer. Mais l’âme anxieuse et vagabonde se contente comme elle peut.

Partout où je tourne les yeux, je trouve ma douce clarté sereine, et je me dis : ici a frappé son beau regard. À chaque plante ou à chaque fleur que je cueille, je crois que l’endroit où elle a ses racines est celui où Laure avait l’habitude d’errer le long des rives du fleuve, et de s’asseoir parfois sur un frais tapis de verdure et de fleurs. Ainsi je ne perds rien de ce qui est elle, et une plus grande certitude ne serait pour moi qu’un mal pire. Heureux esprit, quel es-tu, puisque tu rends les autres ainsi ?

Ô ma pauvre petite chanson, comme tu es chétive ! je crois que tu le sais ; reste donc en ces bosquets.