Aller au contenu

Page:Petrone - Satyricon, trad. de langle, 1923.djvu/244

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

poète opine pour que chacun expose son avis[1] : « Supposez, dit-il, que nous voilà dans l’antre de Polyphème. Il faut chercher une porte de sortie, à moins que nous ne préférions nous jeter à la mer, ce qui nous délivrerait de tout souci.

— Non, dit Giton, persuadez au pilote, moyennant finances, bien entendu, qu’il relâche dans quelque port ; affirmez-lui que votre frère, qui ne peut supporter la mer, est à toute extrémité. Il vous sera facile de colorer ce mensonge par vos larmes et par le trouble de votre visage : ainsi, ému de pitié, il se laissera fléchir.

— Ce n’est pas possible, répondit Eumolpe : d’abord les grands navires ont de la peine à entrer dans les ports et, du reste, il est invraisemblable que la santé se perde en si peu de temps. Songez enfin que peut-être Lycas, par politesse, demandera à voir le malade. Penses-tu que ce soit un bien bon calcul d’attirer nous-mêmes ce capitaine que vous fuyez ? Mais suppose que le navire puisse s’écarter de sa route et que Lycas ne vienne pas tourner autour du lit des malades, comment pourrons-nous sortir du navire sans nous montrer aux yeux de tous ? Passerons-nous la tête couverte ou nue ? Si nous nous couvrons[2], qui donc ne voudra serrer la main à des malades ? Et rester tête nue, qu’est-ce autre chose que de courir nous-mêmes à notre perte ?

  1. La longue délibération qui suit est une spirituelle parodie du suasoria, des discussions d’école ingénieuses, subtiles, à la mode sous l’Empire.
  2. Nous avons déjà vu que chez les anciens c’était une inconvenance de se montrer en public avec la tête couverte : cela passait pour un signe de mollesse. On voit ici qu’au contraire les malades se couvraient la tête tant pour se préserver de l’air que pour indiquer à tous l’état de leur santé.