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Page:Peyrebrune - Le Roman d un bas bleu 1892.djvu/126

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s’évanouissaient dans les mains comme des bulles soufflées.

Et, moroses, nous marchions avec une affectation de hâte, lorsque, à la traversée d’un pont, une lourde voiture arriva vers nous, au trot de ses grands limoniers, traînant un énorme cylindre enguirlandé de tuyaux…

Dès qu’elle nous eût dépassés, mon compagnon fit volte-face, et, tête nue, recueilli, commença de suivre le convoi. Il me parut si drôle avec son chapeau à la main, le front baissé, que j’éclatai de rire. Alors revenant vers moi et avec un désespoir comique :

— Ces gens-là vont trop vite ! Décidément le service des pompes funèbres est bien mal organisé !

— Funèbre est de trop, dis-je.

Mais lui, se penchant vivement, et tout bas :

— Vous avez ri ! Faites-moi grâce pour l’incongruité du moyen. Il y a des heures où pour voir sourire une femme on se ferait donner des coups de pied… comme un paillasse de foire ! J’aime tant votre rire !… Vous ne m’en voulez pas ?…

— Non.

— Bien sûr ?

Il avait repris mon bras et nous allions par une étroite rue très noire, qui devait aboutir vers la place des Vosges, non loin de ma maison.

Je me hâtai, l’entraînant presque. Et lui, très doux :

— Comme vous allez vite !

— J’ai peur dans l’ombre.

— Même avec moi ?… Ne vous sentez-vous pas à l’abri de mon ardente tendresse ? Ah ! Sylvère ! si j’osais vous dire combien je vous aime…

Jamais on ne me l’avait dit : non, jamais je n’avais entendu ce mot ainsi murmuré. Il exprimait tant de