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Page:Peyrebrune - Le Roman d un bas bleu 1892.djvu/280

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Elle sonna : un domestique parut, correct, ganté, prêt à servir.

— Est-il midi ?

— Une heure moins vingt, madame.

— Ah ! Seigneur ! que se passe-t-il ? Les autres aussi ?… ce serait trop fort !

Sylvère se récria :

— Ils vous auraient avertie.

— Eux ? Vous ne connaissez guère ces oiseaux-là, ma petite ! leurs précieux mots leur sont trop bien payés ; ils n’ont garde de les perdre. Je plaisante, se reprit-elle ; mes amis sont très bien élevés ; je les gâte, voilà ! Avec moi ils ne se gênent pas. Et, naturellement, la malice des choses s’en mêle : si je les attends, ils ne viennent presque jamais ; mais que j’aie le désir de déjeuner seule, et je ne suis pas plutôt à table que l’on sonne et l’on resonne, et c’est un, c’est deux, c’est quatre qui viennent me demander leur côtelette… en passant.

Il n’est même pas certain que ceux-ci n’arriveront pas avant que nous ne soyons au dessert, car nous allons nous mettre à table sans plus attendre ; je meurs de faim, moi !

Elle frappa trois coups sur un timbre ; le domestique revint, ouvrit la double porte de la salle à manger et annonça :

— Madame est servie !

Des tubéreuses enguirlandaient la table, mêlant leur encens au capiteux fumet des œufs brouillés aux truffes. Le champagne frappé ambrait les carafes ; la vaisselle était fraîche : des feuilles de roses nacrées semées sur une porcelaine légère ; et la drôlerie des verres de bohème amusait, avec la variété de leur forme et l’emperlement chatoyant des calices qui