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Page:Peyrebrune - Le Roman d un bas bleu 1892.djvu/59

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— Alors tu aimes ce… monsieur Maurine que tu viens d’épouser.

— Je dois l’aimer, puisqu’il est mon mari.

— C’est-à-dire que tu l’aimes par devoir ?

— Oui, répondit candidement Sylvère.

— Et tu appelles cela aimer, toi !

— C’est tout ce que Dieu nous demande.

— Et ton cœur, il ne te demande donc rien, lui ?

— Il me demande d’obéir en tout et toujours à mon devoir.

— Ecoute, Sylvère, c’est peut-être fort beau de penser comme toi, et tu es certainement une très brave fille, mais, vois-tu, on ne m’ôtera pas de l’esprit que l’on t’a mariée trop tôt. Tu es très en retard. Je t’assure que, nous autres, toutes tes amies de couvent, nous avons des idées bien plus sensées sur cette question importante de l’amour, que tu me parais traiter avec un dédain inconcevable !… Ainsi, moi, je me marierai avec l’homme qui me plaira, que j’aimerai follement, quel qu’il soit, et sans consulter personne, car si tu as choisi le devoir pour devise, moi, j’en ai choisi une autre.

— Laquelle ?

— Le bonheur. Le bonheur absolu, aussi complet que possible et à n’importe quel prix, voilà ! Tu es un rat des champs, ma pauvre Sylvère, moi je suis une petite souris qui a vu le monde et qui sait déjà grignoter la vie. J’ai fait mon choix, je veux être heureuse, je le serai.

— Prends garde, Loulou !

— A quoi ? aux imbéciles ! Je m’en moque ! Si tu avais fait comme je pense, tu aurais attendu Paul et…

— Tais-toi…

— Et il ne serait pas en ce moment à pleurer, seul,