Page:Peyrebrune - Les Freres Colombe.djvu/14

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des gants de laine et des sabots, et ils se faisaient la barbe tous les huit jours.

Le père Colombe, ayant été soldat, s’habillait d’une redingote étroite, propre, râpée, ornée d’un ruban rouge fané qui durait, toujours le même, depuis vingt ans. Ils étaient considérés dans le pays et, quand on parlait d’eux, on disait : les messieurs du Moustiers. Leurs opinions politiques étaient connues : ils tenaient pour l’Empire.

Le père Colombe avait servi pendant les Cent-Jours. Ses trois fils reçurent les prénoms de Napoléon, Annibal et Scipion ; la fille s’appela Cornélie. Napoléon mourut, et Cornélie, épousant un paysan, devint la mère d’un tas de petits Gracques.

Quant à Annibal et Scipion, ils eurent une destinée pacifique. Une année, la grêle dévasta les récoltes ; l’année suivante, la vigne coula, et, la troisième année qui suivit, Cornélie entra en ménage. Trois fléaux qui endettèrent la maison. On fut obligé de vendre des terres pour faire honneur aux engagements. Dès lors, il n’y avait plus assez de travail aux champs pour Annibal et pour Scipion. Mais, la famille étant bien notée, le député de l’arrondissement intervint et casa d’abord l’aîné, Annibal, à Paris, dans un bureau de ministère où tout de suite, en entrant, il fut appointé à douze cents francs.

L’année suivante son frère Scipion prenait le même chemin ; seulement il dut faire un surnumérariat entièrement gratuit.

Cependant le père et la mère, allégés, vivotèrent encore quelque temps, et puis, l’âge et l’ennui aidant, ils s’en allèrent très près l’un de l’autre rejoindre leurs aïeux dans le petit coin verdoyant où dorment les morts de la commune de Ligneux, en Périgord.