Page:Peyrebrune - Les Freres Colombe.djvu/25

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et de la mère défunts, quelques vieux meubles des antiques salles du Moustiers, coffres, armoires, chaises a dossier dentelé, rempaillées blanc et noir, et un crucifix au mur avec la branche de buis bénit, sèche et jaune, perdant chaque jour ses feuilles, mais que la mère avait cueillie et envoyée de là-bas, aux derniers Rameaux avant sa mort.

Dès qu’on lui lâchait la bride sur le chapitre du luxe, tout de suite Scipion s’emportait. Et bientôt les fauteuils et le tapis entraînèrent l’acquisition d’une cave à liqueur superbe, étincelante, qui vint trôner sur la commode en vieux chêne entre les tasses à thé dorées et fleuries de roses et la cafetière en ruolz guilloché, coiffée d’un oiseau qui becquetait le couvercle.

On aurait dit un étalage de marchand ; mais le goût de Scipion n’allait pas jusqu’à l’arrangement des choses : dans sa simplesse, les choses elles-mêmes lui suffisaient. Cependant Annibal fut forcé de s’interposer.

Comme il se plaignait un peu fort, Scipion lui dit :

— Tout ça nous aidera à remeubler le Moustiers comme il était du temps des vieux, tu te souviens ?

— Oui, c’est juste, répondit Annibal attendri et désarmé.

Mais Scipion oublia bientôt cette dernière fièvre d’élégance qui lui avait rendu, pendant quelques jours, les émotions de sa jeunesse ; ce plaisir même s’émoussa, disparut, et plus rien ne troubla l’existence monotone, régulière, sans joie et sans idéal, des frères Colombe. Leurs habitudes monacales et bureaucratiques les avaient à la fin transformés en machines parfaitement réglées, en automates peu à peu vieillissant, s’émiettant et s’usant, ternis par la poussière des années, la tête vide, le cœur éteint.

Ils parlaient peu entre eux, s’étant tout dit. Un jour cependant, Annibal, faisant ses comptes, s’écria :

— Nous n’en avons plus que pour deux ans, deux fois trois cent soixante-cinq jours de bureau.