Page:Peyrebrune - Les Freres Colombe.djvu/31

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— Dame !… j’avais faim et cela me faisait plaisir, un peu, rien que de les voir…

— Elle a faim ! cria malgré lui Annibal.

Mais déjà Scipion était sur ses pieds et il courait au buffet, accrochant les chaises, faisant un bruit d’enfer avec ses bottes neuves. Et Annibal poussait la table auprès de la petite, qui, effarée, les yeux élargis, voyait s’empiler devant elle tous les restes et toutes les provisions du garde-manger.

— Oh ! je n’ai pas tant d’appétit que cela ! dit-elle en souriant.

Et elle se jeta sur le pain, qu’elle dévora à grandes bouchées, sans rien dire, ne touchant pas aux viandes, apaisant d’abord la cruelle faim qui la tenait.

Elle s’interrompit tout à coup, un peu honteuse, regardant ses deux mains pleines ; et puis elle murmura d’une voix douce, tendre comme une caresse, en relevant les yeux vers les deux frères qui la contemplaient :

— Vous êtes bien bons ; merci.

Ils se détournèrent un peu l’un de l’autre pour se cacher les pleurs qui leur étaient venus.

Elle touchait maintenant aux mets qu’on avait placés devant elle, mais timidement et comme pour faire plaisir à ses hôtes. Sa faim était apaisée et elle se mettait à penser, le cœur gros. Alors Scipion reprit :

— Tu n’avais donc pas mangé, ce soir ?

— Depuis hier, répondit-elle plus triste.

— Pourquoi ?

— Parce que maman, est morte.

Et la petite, repoussant son assiette, se reprit à pleurer.

— Et ton père ? demanda tout doucement Annibal.

— Il est mort aussi, monsieur, mais il y a longtemps.

— Où habites-tu ?

Elle ne répondit pas. Il y eut un silence coupé des seuls