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VII


Néanmoins, la peur qu’elle leur avait causée fit redoubler les soins des frères Colombe autour de la précieuse santé de Manon. Chaque dimanche, maintenant, on l’emmenait à la campagne aux environs de Paris, tantôt ici, tantôt là. Scipion portait les châles et les manteaux pour l’envelopper quand elle aurait couru. Annibal charriait les herbes et les fleurs qu’elle ravageait. Et l’on dînait au restaurant après que Manon s’était balancée toute droite sur l’escarpolette du jardin, se lançant très haut pour faire crier d’effroi les frères Colombe éperdus. Elle s’endormait quelquefois dans le train, au retour, sur l’épaule de maman Pion immobile. On la regardait beaucoup, car elle était belle, fraîche et blonde comme les blés mûrs ; mais Annibal, d’un regard de dogue, écartait les galants, et Scipion obligeait Manon à porter des voiles épais qui lui cachaient un peu les yeux. Même les frères Colombe convinrent un jour que Manon avait assez de talent en peinture pour se passer des leçons de l’atelier et qu’elle devait désormais demeurer à la maison.

On lui installa une petite table auprès de l’une des deux fenêtres de la salle à manger avec un grand fauteuil capitonné et des coussins pour ses petits pieds toujours, frileux, un mignon chevalet sur la table et tout un attirail de godets et de pinceaux de la dernière élégance. Manon se proposait d’exposer au prochain Salon une copie de John Russel : La petite fille aux cerises. Elle peignait avec assez de goût et sa couleur ne manquait ni de justesse ni d’éclat. Le dessin seul laissait à désirer ; mais elle se faisait esquisser ou retoucher les lignes par son professeur. Ensuite, très capricieuse, elle entreprenait plusieurs ouvrages à la fois, afin de les reprendre et de les quitter suivant sa fantaisie du moment qu’elle nommait gravement : l’inspiration.