Page:Philippe - Marie Donadieu, 1904.djvu/149

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

C’était une boisson légère que l’on aspirait comme on respire, qui vous passait sur la langue, qui traversait en vous on ne sait quel mystère dont le siège est au cœur humain. Puis elle montait par le chemin du sang et, baignant la substance, atteignait les idées de raison, les idées de justice, les idées de bonheur et les fondait dans un bloc clair dont on était le possesseur. L’un d’eux payait à chaque tournée pour payer plus souvent et, ne voulant pas se charger de sous, les laissait par masses au garçon qui servait. Il disait : « Il en reste encore ! » et remuait les pièces d’or dans une de ses poches. Au bout d’une heure, ses trois compagnons s’en allèrent, il leur sourit. Puis il dit :

— J’habite le Congo. Il n’y a pas comme ici des rues, des cafés, des femmes, des usines, des bureaux. Nous remontons le fleuve pendant des semaines, nos fusils contiennent des balles explosibles, nos goûts sont à la hauteur : j’ai tué des hippopotames et des éléphants. On a voulu me vendre un enfant quarante sous. Trois jours plus tard, on nous l’a fait manger. Nous n’en savions rien. Voilà