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Page:Physiologie du gout, ou meditations de gastronomie transcendante; ouvrage théorique, historique, et à l'ordre du jour, dédié aux gastronomes Parisiens (IA b21525699).pdf/321

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Pendant les deux occupations successives de Paris, en 1814 et 1815, on voyait constamment devant son hôtel des véhicules de toutes les nations : il connaissait tous les chefs des corps étrangers, et avait fini par parler toutes leurs langues, autant qu’il était nécessaire à son commerce.

Beauvilliers publia, vers la fin de sa vie, un ouvrage en deux volumes in-8°, intitulé : l’Art du cuisinier. Cet ouvrage, fruit d’une longue expérience, porte le cachet d’une pratique éclairée, et jouit encore de toute l’estime qu’on lui accorda dans sa nouveauté. Jusque-là l’art n’avait point été traité avec autant d’exactitude et de méthode. Ce livre, qui a eu plusieurs éditions, a rendu bien faciles les ouvrages qui l’ont suivi, mais qui ne l’ont pas surpassé.

Beauvilliers avait une mémoire prodigieuse : il reconnaissait et accueillait, après vingt ans, des personnes qui n’avaient mangé chez lui qu’une fois ou deux : il avait aussi, dans certains cas, une méthode qui lui était particulière. Quand il savait qu’une société de gens riches était rassemblée dans ses salons, il s’approchait d’un air officieux, faisant ses baise-mains, et il paraissait donner à ses hôtes une attention toute spéciale.

Il indiquait un plat qu’il ne fallait pas prendre, un autre pour lequel il fallait se hâter, en commandait un troisième auquel personne ne songeait, faisait venir du vin d’un caveau dont lui seul avait la clef ; enfin, il prenait un ton si aimable et si engageant, que tous ses articles extra avaient l’air d’être autant de gracieusetés de sa part. Mais ce rôle d’amphitryon ne durait qu’un moment ; il s’éclipsait après l’avoir rempli ; et peu après, l’enflure de la carte et l’amertume du quart d’heure de Rabelais montraient suffisamment qu’on avait dîné chez un restaurateur.