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Page:Piedagnel - Jules Janin, 1877.djvu/28

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jules janin

seconde mère apparut. Mais laissons-le lui-même nous dire éloquemment sa joie infinie :

Je vis, accourant à aussi grands pas que le permettait sa vieillesse, je vis arriver ma vieille bonne tante, mon soutien, mon amie, mon espoir, frêle bâton de ma jeunesse, ma tante, ma Providence ! Pauvre femme ! Elle avait alors quatre-vingts ans passés ; mais c’était une femme du vieux temps, qui avait été toute sa vie belle et forte, et d’un grand cœur… Elle venait ce jour-là (du fond du Forez), fidèle à notre mandat tacite de ne nous jamais quitter, elle venait à Paris me reprendre pour y vivre avec moi, inconnu et pauvre, pauvre et inconnue comme moi !
Quelle femme ! À l’âge où l’on s’arrange pour mourir, à l’âge du repos et des longs rêves, elle avait tout quitté pour venir à moi dans la foule. Elle avait quitté sa maison bien arrangée, son feu toujours allumé, son petit jardin, ses vieux amis, son influence dans sa petite ville, elle avait tout quitté. Elle venait à moi ce jour-là, arrivée qu’elle était de la veille, après un voyage de cent lieues. Je la reconnus tout d’abord là-bas au milieu des voitures, longeant le mur, s’appuyant sur sa canne, vive encore, ne me cherchant pas même du regard, tant son cœur lui disait que j’étais là !… Alors, alors je me sentis vivre : j’avais une protection, j’avais de quoi être aimé, j’avais de quoi aimer.

Quels embrassements de cœur à cœur et quelles douces larmes !