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LA MORTE



Deux enfants près du lit se sont agenouillés.
Sur la table, le buis trempe dans l’eau bénite,
Devant un crucifix, — et la garde hypocrite
L’indique aux visiteurs, avec des yeux mouillés.

Un drap de fine toile a voilé le cadavre ;
Sa forme vaguement apparaît sous les fleurs
Dont l’aïeule a couvert, tremblante et tout en pleurs,
Le corps de l’adorée. Et son désespoir navre !

Pourquoi donc ces sanglots ? Pourquoi ces orphelins ?
Pourquoi la mort livide où la joie était reine ?
L’âme répond : « Souffrir est la loi souveraine,
Et l’horrible douleur mène aux espoirs divins ! »




NOCES DU SAMEDI

(croquis parisien)


Ce jour-là, le Bois est en fête,
Tout rempli du rire et des cris
De couples qui perdent la tête.
Même si le cœur n’est pas pris !



Une noce succède à l’autre,
Le long des sentiers sinueux :
Auprès du mari bon apôtre
Surgit l’époux impétueux.



À travers les branches menues,
On suit le mouvement léger
Des robes blanches d’ingénues
Qu’illustre la fleur d’oranger.



À dix pas marchent les familles,
Dont l’air très grave, par instants,
Cache un désir fou de charmilles
Où, le soir, on boira longtemps.



Les favorisés droits et dignes,
Défilent, une dame au bras :
Au Jardin, ils ont vu des cygnes,
Le dromadaire et les aras !



Maint heureux invité se carre ;
L’un pérore, agitant son gant ;
L’autre, mordillant un cigare,
Se cambre et croit être élégant.



Sept heures ! — « Vite, amis, à table ! »
Les promeneurs, de tous côtés,
Montrent un entrain véritable :
À bientôt les vins frelatés.



Devant les grilles on se presse.
Car chacun veut sortir du bois ;
Et, pour préluder à l’ivresse,
On échange des mots grivois.



Au dessert, un aigre champagne,
Arrosant les refrains scabreux,
Va faire battre la campagne…
— « À la santé des amoureux ! »


 Bois de Boulogne (Porte Maillot).