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anthologie

celui-ci amène les Genevois à renoncer à la messe « et autres cérémonies papales, images et idoles ». Pour fortifier sa conquête, Farel cherche un collaborateur. Il met la main sur Calvin, un français né à Noyon, et qui, acquis à la Réforme, s’en allait s’installer à Strasbourg. Calvin se laisse persuader de demeurer à Genève pour l’« organiser ». Il l’organise, en effet. Calvin, grand écrivain, mais moraliste intolérable, est un de ces esprits rigides qui vont toujours jusqu’au bout de leurs idées et sans tempérament parce que la ligne droite est le plus court chemin d’un point à un autre et que leur conception de la morale est exclusivement géométrique. Sous le règne de Calvin qui dure de 1537 à 1564 — avec une interruption provoquée par une révolte passagère de la population contre cette tyrannie — les Genevois appelés à jurer obéissance à un catéchisme précis sont traités en collégiens. On les surveille sévèrement et on les réprimande pour le moindre manquement. « Il faut leur procurer leur bien malgré qu’ils en aient », proclame le terrible réformateur, lequel, en 1553, fait brûler Michel Servet, dont les idées sur la Trinité et les tendances panthéistes lui semblent subversives. Calvin, d’ailleurs, gouverne sans souci de légalité. Pour se maintenir en possession d’une majorité favorable, il fait attribuer la « bourgeoisie » genevoise à des étrangers, qu’il installe par copieuses fournées de plusieurs centaines. En même temps, ses idées s’exaltent. Il veut qu’on adhère à l’idée de la prédestination absolue. Les uns seront sauvés, les autres damnés. Ainsi Dieu l’a décidé. Rien à faire. Et la simplicité cruelle d’un tel dogme opère sur la masse qui s’y jette avec une désespérance radieuse.

C’est là l’extrême-gauche du protestantisme débutant. Sa puissance véritable est dans cette bourgeoisie allemande : « fruste de manières, ne comprenant guère de l’art que la musique, vulgaire mais solide, résistante, dévouée à son devoir et confiante dans ses forces ». Ce portrait tracé par Ernest Denis est bon. C’est bien ainsi que, sous l’influence de Luther, la nouvelle Allemagne s’établit dans la vie. Car c’est lui qui l’a faite à son image : un Luther seconde manière, auteur de ces « Propos de table » où il y a presque un peu de Rabelais : un Luther apaisé, confiant, pas distingué certes mais plein de bon sens, cordial, lettré et autour des enseignements de qui se cimente l’avenir germanique.