compatibilité essentielle du progrès socialiste avec la société bourgeoise. Cette société devait disparaître tout entière ; il fallait à l’aube nouvelle un cataclysme préalable et intégral. Esclave de ces vues enfantines, M. Jaurès accepta de les porter à la tribune de la Chambre et de dresser le tableau de ce que serait la société rénovée. Personne n’ayant jamais pu obtenir le moindre détail là-dessus, la curiosité fut intense. Hélas ! la désillusion le fut encore plus. Malgré son grand talent, M. Jaurès ne réussit à faire accepter par personne le mélange d’affirmations creuses et de ridicules inventions saupoudrées de chiffres cités au hasard qu’il apporta à son auditoire. Il apparut soudain comme une sorte de Cabet décrivant une Icarie de bas étage et l’on attendit, avec une sympathie anticipée, la réponse de M. Clemenceau. Elle fut étincelante de verve et d’esprit. Il jeta bas les raisonnements en porte à faux, souligna les incohérences et les improbabilités, releva les inexactitudes et tout cela sans passion, comme un homme qui s’accommoderait aussi volontiers du régime socialiste que d’un autre s’il était possible mais qui, dans l’état actuel des choses, l’estime contraire au bon sens.
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