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le roman d’un rallié

sible, elle était connue de tous les habitués de la ligne, mais se déridait rarement et causait le moins possible. En somme, on ne savait rien d’elle, si ce n’est que son buffet était bien tenu et que derrière son comptoir, elle ressemblait à une statue de la Destinée. Pour Étienne seul, elle savait sourire ; peut-être lui rappelait-il quelques heures de joie dans un passé sombre. « Vous voilà revenu, monsieur le marquis, dit-elle, en lui versant du café au lait et en plaçant deux brioches sur une assiette, sans même lui demander ce qu’il voulait prendre ; Dieu soit loué, qui vous a ramené sain et sauf à travers ces vilains océans ! » et elle eût un geste vers Brest, une sorte de cercle maudit que sa main traça très vite, nerveusement, tandis qu’un peu de haine et de peur passait sur ses traits. Étienne avait essayé de plaisanter, mais la pensée de la mer avait de nouveau figé le visage de l’étrange créature et ce fut d’une voix brève, presque dure, qu’elle dit comme se parlant à elle-même : « Les Bretons font mieux de ne pas sortir de chez eux ; il n’y a rien de bon pour eux hors de Bretagne ! »