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souvenirs d’amérique et de grèce.

qui en l’honneur de l’empereur Alexandre portaient le grand deuil de la marine,… puis tout retomba dans l’immobilité. Sur les quais endormis, la brise agitait par instants la flamme des réverbères et celle-ci, avivée soudainement, éclairait sur une muraille blanche une grande inscription en lettres grecques. On pouvait se croire dans l’enceinte morte du vieux Pirée et le regard cherchait, avide, ses longs murs qui reliaient jadis la ville maritime à la capitale Mon Dieu ! cette veillée, d’autres l’ont accomplie sans doute. L’Ortégal n’est pas le premier navire qu’un retard imprévu a fait entrer de nuit au Pirée. Mais je crois que, pour en comprendre la douce poésie, il faut être de ceux qui regardent la Grèce antique comme le « précepteur du monde »,… et c’est là un point de vue bien démodé par ce temps de leçons de choses et de mathématiques omnipotentes.

Le lendemain, sur la route poussiéreuse qui monte vers Athènes, l’impression fut tout autre : il me sembla que je débarquais dans un pays neuf ; des souvenirs d’Amérique traversèrent mon esprit. C’est bien ainsi qu’on installe dans les campagnes yankees : ce bois mal équarri, ces barrières mal peintes ; ces chemins improvisés, cette sorte de hâte insouciante dans l’arrangement des choses, tout cela caractérise les peuples jeunes, où qu’ils soient et d’où qu’ils viennent. Et c’est merveille de songer au royal passé que celui-ci traîne après lui.