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souvenirs d’amérique et de grèce.

qui se font gloire d’habiter de vieux murs, et à des œuvres de charité dont les bureaux s’accommodent du silence discret qui distingue ces lieux.

C’est là que le petit Tello d’Apéry a installé sa mission des va-nu-pieds et les bureaux de son journal. Qu’il me pardonne de lui attribuer ce qualificatif retardataire : Tello d’Apéry est maintenant un jeune homme de dix-sept ans qui a déjà beaucoup de décorations européennes sur la poitrine et dans son court passé plus de bonnes actions qu’il n’en faudrait pour faire entrer au paradis vingt vieilles dévotes. Mais de tous les portraits qu’on a faits de lui, j’en préfère un qui le représente à l’âge de douze ans, vêtu d’une blouse à plis en drap chiné, avec son grand col blanc et son air décidé d’écolier américain ; et j’ai peine à séparer sa physionomie d’alors de l’entreprise à laquelle il a attaché son nom.

D’entreprise à proprement parler, il n’y en eut point ; comme beaucoup d’enfants qui ont bon cœur et pour lesquels l’économie politique demeurera toujours une science sinistrement facétieuse, Tello souffrait de voir d’autres enfants courir, pieds nus, pâlis par la faim et le froid, les rues neigeuses de sa ville natale. Les privations de chaque jour inscrites sur leurs traits fatigués éveillaient en lui un douloureux écho, et, lorsque leurs pauvres regards de détresse croisaient le sien, sa douleur devenait cuisante. Il lui arrivait de se détourner de sa route, quand il sortait seul comme le font beaucoup de petits Américains, afin de mieux éviter les carrefours où il sentait que le spectacle redouté l’attendait. Un jour enfin, n’y