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souvenirs d’oxford et de cambridge

Le South hall, où réside la principale, miss Clough, qui a beaucoup fait pour l’émancipation des femmes, contient une vaste et confortable bibliothèque, dont les rayons sont chargés de livres de science, d’histoire et de droit : par les fenêtres, j’aperçois, dans le jardin, quelques toilettes coquettement chiffonnées. Il y a des étudiantes un peu partout, lisant, écrivant, rêvant. Dans les corridors, on rencontre des petites bonnes à tabliers blancs et à guimpes.

Le collège contient environ cent seize élèves ; il est administré par un conseil composé de douze hommes et de neuf femmes. La principale a un pouvoir très étendu : à elle de juger si les élèves profitent de leur séjour à Newnham ou s’il est préférable qu’elles se retirent. Le prix est de 25 guinées par terme : cela fait 1950 francs par an tout compris. On doit être rentré le soir à six heures trente, et il faut une permission spéciale pour accepter des invitations en ville.

Le sénat n’admet les femmes qu’aux honneurs. Il leur refuse le diplôme ordinaire, afin de n’avoir que des candidates sérieuses. Ce qui est étonnant, c’est le nombre de mathématiciennes depuis la fondation. La plupart sont devenues maîtresses dans des maisons d’éducation en Angleterre ou dans les colonies et jusqu’en Nouvelle-Zélande ; j’en note une qui est visiting teacher of mathematics in London[1]. Miss Gladstone et miss Clough vont participer à la may-week en donnant une garden-party, pour laquelle les invitations sont déjà lancées.

Autre collège de femmes ; celui-là (Girton) est situé en pleins champs, très loin de Cambridge ; les élèves sont conduites en voitures aux lectures universitaires qui leur sont ouvertes, ou bien s’en abstiennent. C’est un grand château de briques avec beaucoup de plantes grimpantes et des velléités d’architecture. En me montrant ses jolis corridors en sapin ciré, miss Welsh, la principale, a comparé son établissement à un couvent ; c’est bien cela ; un couvent modernisé, libéral, démocratique ; mais après tout, la règle est assez sévère ; ce sont des « oiseaux » laïques. Une jeune fille, qui étudie la géométrie (la malheureuse !) dans sa jolie chambre, paraît fort occupée d’un match de lawn-tennis qui a eu lieu hier et dans lequel Newnham a battu Girton !… À quand les équipages féminins pour les régates ?

Retour à Cambridge par un très joli détour ; le pays change d’aspect ; il se creuse, se vallonne et les arbres, d’abord disséminés à la normande, se groupent le long des routes, s’entassent aux revers des coteaux, noircissent l’horizon. Le chemin traverse un pittoresque petit village dont les chaumières semblent sorties de l’imagination de Kate Greenaway. Des bébés blonds interrompent

  1. Leçons de mathématiques à domicile.