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CHAPITRE X.

la part de ce que la pitié a mis du sien dans ce jugement sur l’œuvre d’une poétesse ravie si jeune à la vie et au culte des Muses. Mais qui empêche que, bien au-dessous de l’Iliade et de l’Odyssée, à côté, par exemple, des Hymnes et de la Batrachomyomachie, la Quenouille ait pu figurer avec honneur ? C’est à Érinna qu’on attribue d’ordinaire l’Hymne à Roma, c’est-à-dire à la Force, qui est une ode en strophes sapphiques, et dans le dialecte éolien. Ceux qui pensent que la Roma de cette ode est la ville de Rome elle-même, parfaitement inconnue en Grèce au temps de Sappho et d’Erinna mettent l’Hymne à Rome sous le nom d’une autre Lesbienne, de l’inconnue Mélinno, qu’on peut faire vivre, si l’on veut, à une époque où il était possible à une femme grecque de chanter les grandeurs de la ville éternelle. Sans prendre parti dans la question, je transcrirai cet hymne, qui ne fait point affront à la réputation d’Erinna, et qui est sans conteste l’ouvrage d’une main habile et surtout d’un talent inspiré : « Je te salue, Force [ou Rome], fille de Mars, déesse à la mitre d’or, à l’âme belliqueuse, toi qui habites sur la terre un Olympe à jamais invulnérable. À toi seule la Parque auguste a donné la royale gloire d’une puissance indestructible, afin que tu commandasses avec la vigueur qui se fait obéir. Sous le joug de tes courroies solides est enlacée la poitrine de la terre et de la mer blanchissante, et tu gouvernes avec autorité les villes des peuples. Le temps redoutable, qui ébranle toutes choses, et qui transporte la vie tantôt d’un côté tantôt d’un autre, pour toi seule ne change point le vent favorable qui enfle les voiles de ta puissance. Car toi seule entre toutes tu portas dans ton sein des hommes braves et belliqueux, et tu enfantes des bataillons de guerriers, aussi pressés que les gerbes dans les champs de Cérès. »


Arion.


Arion, Lesbien de Méthymne et contemporain d’Alcée, de Sappho et d’Erinna, semble pourtant appartenir à la fable encore plus qu’à l’histoire. Qui ne connaît le trait de sa légende conté par Hérodote, et comment un dauphin, charmé des accords de sa lyre, le reçut sur son dos et le sauva de la