Page:Pierron - Histoire de la littérature grecque, 1875.djvu/264

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
252
CHAPITRE XVII.

matique qui devait résumer en soi toutes les poésies, depuis l’épopée jusqu’à la satire outrageuse ; les égaler chacune en particulier, par la richesse des détails, par la variété des inventions, par l’éclat de la forme ; les dépasser par la vérité et l’intérêt des peintures, et laisser au monde les noms immortels d’Eschyle, de Sophocle, d’Euripide, d’Aristophane, de Ménandre : « En ce temps-là, dit Plutarque dans la Vie de Solon, Thespis commençait à changer la tragédie ; et la nouveauté du spectacle attirait la foule, n’y ayant point encore de concours où les poëtes vinssent se disputer le prix. Solon, naturellement curieux, et qui, dans sa vieillesse, se livrait davantage aux passe-temps et aux jeux, et même à la bonne chère et à la musique, alla entendre Thespis, lequel, suivant l’usage des anciens poëtes, jouait lui-même ses pièces. Après le spectacle, il appela Thespis, et lui demanda s’il n’avait pas honte de faire publiquement de si énormes mensonges. Thespis répondit qu’il n’y avait point de mal à ses paroles ni à sa conduite, puisque ce n’était qu’un jeu. « Oui, dit Solon, en frappant avec force la terre de son bâton ; mais si nous souffrons, si nous approuvons le jeu, nous trouverons la réalité dans nos contrats. »

Ce qu’on appelait déjà tragédie, avant Thespis, n’était autre chose que le dithyrambe, le chant en l’honneur de Bacchus. Ce chant, tantôt triste et plaintif, tantôt vif et joyeux, libre dans son allure, dégagé de presque toutes les entraves métriques, était une sorte d’épopée, où se déroulait le récit des aventures du dieu. Le chœur dithyrambique dansait, en chantant, une ronde continue autour de l’autel de Bacchus. Sur cet autel on immolait un bouc ; et le nom de la victime, τράγος, fait comprendre comment le chant du sacrifice a pu recevoir le nom de tragédie, τραγῳδία, c’est-à-dire chant du bouc, et pourquoi tels et tels poëtes dithyrambiques, antérieurs à Thespis, sont cités comme auteurs de tragédies. Suivant quelques-uns, le mot tragédie vient de ce que les chanteurs du dithyrambe se déguisaient en satyres, avec des jambes et des barbes de bouc, pour figurer le cortège habituel de Bacchus. Cette opinion peut jusqu’à un certain point se soutenir, mais non pas celle qu’a exprimée Boileau d’après