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CHAPITRE XVII.

servait à rehausser la taille du personnage en scène, et à lui donner quelque chose de cette majesté extérieure qui distinguait, selon l’opinion populaire, et les êtres divins et les mortels des anciens âges. Il est probable même que, dès avant le temps de Thespis, quand on faisait figurer les dieux en personne dans certaines cérémonies solennelles, ils se montraient à la foule en masque et en cothurne, et avec le costume dont la statuaire revêtait de tout temps leurs images : ainsi quand un jeune homme de Delphes jouait le rôle d’Apollon qui tue le serpent ; ainsi quand, à Samos, on célébrait le mariage de Jupiter et de Junon ; ainsi quand Cérès, à Éleusis, allait s’enquérant des nouvelles de sa fille.

Il n’est pas douteux, d’ailleurs, que les successeurs de Thespis, surtout Eschyle et Sophocle, n’aient perfectionné les moyens d’agir par les yeux sur l’esprit des spectateurs, comme ils ont perfectionné la fable dramatique et le style théâtral. Quant au chant et à la danse, j’ose affirmer que plus les poëtes tragiques s’éloignèrent de la forme du dithyrambe, plus ils affaiblirent l’élément chorégraphique et musical de la tragédie, et que Thespis lui-même, comparé aux poëtes dithyrambiques, marqua le premier degré de cette décadence. Qu’on se figure, en effet, ce que devait être le vrai chœur tragique, le chœur du dithyrambe, quand on y voyait Bacchus menant la troupe avinée des satyres, des évants et des ménades. Les vers suivants, d’une des pièces perdues d’Eschyle, intitulée les Edons, ne sont qu’un trait de la description du cortège de Bacchus : « L’un, tenant dans ses mains des bombyces, ouvrage du tour, exécute, par le mouvement des doigts, un air dont l’accent animé excite la fureur ; l’autre fait résonner des cymbales d’airain… Un chant de joie retentit. Comme la voix des taureaux, on entend mugir des sons effrayants, qui partent d’une cause invisible ; et le bruit du tambour, semblable à un souterrain tonnerre, roule en répandant le trouble et la terreur. » Le progrès, s’il y en eut, ne fut point un accroissement de passion et d’enthousiasme. Si les danses du chœur gagnèrent en décence et en grâce, si la musique revêtit une infinie variété de formes, et s’appropria tous les modes de la mélodie, il n’est pas