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CHAPITRE XX.

par vos sauts et vos gambades[1]. » Un peu plus tard, dans ses réponses au fils de Laërte, qui demande la vie pour lui et les siens, il expose avec une verve bouffonne les principes de sa philosophie d’anthropophage, et il va jusqu’à l’impiété et à l’ordure, quand il se compare à Jupiter et qu’il exprime à sa manière l’estime qu’il fait du bruit de la foudre. Mais, après qu’il a bu, il se déride tout à fait ; et le terrible personnage dépasse de beaucoup les bornes de cette plaisanterie décente que permettait, suivant Horace, la gaieté du drame satyrique.

Silène, voleur, ivrogne et menteur, au demeurant aimable compagnon, et qui se signale, pendant le festin du cyclope, par plus d’une espièglerie, n’est pas dessiné non plus conformément au type quelque peu sévère que préfère Horace, et qu’avaient sans doute réalisé Sophocle ou Eschyle.

Les satyres n’ont pas les défauts de leur père ; ils en ont un autre, qui n’est pas fort noble non plus, mais qui les rend plus divertissants encore que Silène : ils sont poltrons à merveille. Il faut les voir et les entendre au moment décisif, après qu’ils ont promis à Ulysse de le seconder dans son entreprise, quand le tison est prêt, et qu’Ulysse les appelle à l’œuvre :

« ULYSSE. Silence, au nom des dieux, satyres ! Ne bougez ; fermez bien votre bouche. Je défends qu’on souffle, ou qu’on cligne de l’œil, ou qu’on crache : gardons d’éveiller le monstre, jusqu’à ce que le feu ait eu raison de l’œil du cyclope. LE CHOEUR. Nous faisons silence, et nous renfonçons notre haleine dans nos gosiers. ULYSSE. Allons, maintenant, entrez dans la caverne, et mettez la main au tison. Il est bien et dûment enflammé. LE CHOEUR. Est-ce que tu ne régleras pas quels sont ceux qui doivent saisir les premiers la poutre brûlante et crever l’œil du cyclope ? car nous voulons avoir part à l’aventure. 1er DEMI-CHŒUR. Quant à nous, la porte est trop loin pour que nous poussions d’ici le feu dans cet œil. 2e DEMI-CHŒUR. Et nous, nous voilà tout à l’instant devenus boiteux. — 1er DEMI-CHŒUR. C’est le même accident que j’é-

  1. Euripide, le Cyclope, vers 214 et suivants.