Page:Pierron - Histoire de la littérature grecque, 1875.djvu/316

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
304
CHAPITRE XX.

c’est-à-dire ennemi des femmes. Il est vrai qu’on trouve en plus d’un endroit de ses poëmes des mots que les femmes n’ont pas pu prendre pour des compliments ; mais il s’agit de savoir si les personnages qui les prononcent parlent selon leur caractère, ou si le poëte perce à travers le masque de ses personnages. Il était bien difficile d’éviter de pareils traits dans des rôles que passionnent et bouleversent les désespoirs de l’amour. Eschyle lui-même, qui n’a jamais peint des héros amoureux, pourrait en fournir de semblables, et même de plus violents, particulièrement dans le rôle d’Étéocle des Sept contre Thèbes. D’ailleurs Euripide a donné, ce semble, un éclatant démenti à sa réputation, en créant ces pures et touchantes figures de jeunes filles qui se résignent à la mort, Iphigénie, Polyxène, Macarie ; d’épouses dévouées jusqu’au sacrifice de leur vie, Evadné et surtout Alceste ; en traçant enfin, dans Oreste, le tableau de la tendresse presque maternelle d’Électre pour son frère.

Quoique Euripide ait abusé trop souvent des apophtegmes et des sentences morales ; quoique ses héros aient l’air quelquefois de sortir, tout frais émoulus, des leçons d’Anaxagore ou des spirituelles causeries de Socrate, on peut dire, en général, que cette altération des caractères antiques était dans le droit d’Euripide, tout autant que celles dont ne s’étaient fait faute, dans l’intérêt de leurs compositions, aucuns de ses devanciers, ni Sophocle, ni même Eschyle. Euripide n’est blâmable que pour les avoir rajeunis et civilisés à l’excès, non pas tous encore, mais un très-grand nombre, à commencer par Hippolyte et Achille. Que si ses héros prononcent quelquefois des paroles malsonnantes, faut-il mettre sur son compte tout ce que leur fait débiter la passion ou la colère, et lui intenter un procès, comme ce contemporain qui le traduisit en justice parce qu’Hippolyte avait dit : « La langue a juré, mais l’âme n’a pas juré[1] ? » Eschyle et Sophocle, à ce compte, ne seraient guère moins répréhensibles. Les légèretés de Jocaste, par exemple, auraient dû faire taxer d’impiété le pieux auteur d’Œdipe-Roi et d’Œdipe à Colone. Euripide

  1. Euripide, Hippolyte, vers 612.