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CHAPITRE XXII.

joua le rôle de Cléon, aucun acteur n’ayant eu le courage de s’exposer aux ressentiments de cet homme vindicatif et presque tout-puissant.


Caractère d’Aristophane.


Aristophane est un adversaire de toute nouveauté bonne ou mauvaise, en politique, en morale, en littérature. Tel il s’est montré dès son début, en gourmandant le peuple et en frondant ses favoris ; tel il est resté durant toute sa carrière. C’est le plus aristocrate des poëtes, malgré ses semblants de respects pour la multitude ; et le peuple est un des personnages dont il a le plus souvent et le plus heureusement persiflé les vices et les travers. Aristophane lui adresse à chaque instant les plus sévères leçons ; et ce mentor étrange prodigue tant de sel et tant d’esprit, qu’on l’écoute et qu’on lui pardonne. Il se fait applaudir par ceux-là mêmes sur lesquels il frappe à coups redoublés : « Jamais aucun souverain, dit W. Schlegel, et le peuple d’Athènes en était un dans ce temps-là, ne s’est laissé dire d’aussi bonne grâce des vérités aussi fortes, et n’a mieux entendu la plaisanterie. » Mais je doute fort que ce souverain ait fait grand profit, pour s’amender, de ces réprimandes si vertement et si joyeusement administrées. Il est allé se corrompant de jour en jour davantage ; et la comédie, en assaisonnant de poisons et d’ordures le bon sens et la vérité, n’a travaillé, en définitive, qu’à l’avilissement des mœurs, à la destruction des idées saintes, à l’abaissement des caractères. Je condamne donc, et en soi et dans leurs résultats pratiques, les moyens employés par Aristophane pour se faire accueillir de ses contemporains. Je n’examine pas même s’il lui était loisible d’en employer d’autres, et d’épurer la comédie.

Aristophane n’est certes point le plus grand des comiques. Mais nul satirique ne l’a jamais égalé, ni dans l’antiquité ni dans les temps modernes ; nul homme n’a jamais été doué d’une imagination plus puissante et plus féconde ; nul poëte n’a jamais réuni en sa personne plus de qualités opposées, la verve sarcastique et la rêverie, le calcul de la raison et les