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CHAPITRE XXVI.

Prodicus.


Il faut dire, pour être juste, que ces hommes de trop d’esprit étaient quelquefois des hommes ; que ces jongleurs littéraires oubliaient quelquefois leurs finesses et leurs tours de passe-passe, et qu’il leur arrivait de tomber assez souvent sur des idées justes, de les exprimer avec bonheur, et d’atteindre, en dépit de leurs systèmes, au beau moral et à l’éloquence. C’est un sophiste, Prodicus de Céos, qui a représenté le premier le Vice et la Vertu se disputant l’âme d’Hercule. Vous pouvez admirer, au deuxième livre des Mémoires de Socrate, les magnifiques développements qu’il avait donnés à cette sublime allégorie. Saint Basile a consacré quelque part tout un chapitre à Prodicus et à son Hercule, et parle du sophiste avec une véritable estime. Je vais citer ce passage du discours sur la Lecture des Livres profanes : « Le sophiste de Céos, Prodicus, a développé dans un endroit de ses écrits, au sujet de la vertu et du vice, des principes analogues à ceux-là. Lui aussi il est un de ceux qui méritent notre étude ; car ce n’est point un auteur méprisable. Voici à peu près quel est son récit, autant du moins que je me rappelle la pensée de l’écrivain ; car je ne sais point par cœur les termes mêmes dont il s’est servi ; je sais seulement qu’il s’exprime en simple prose, et non pas en vers. Hercule, selon lui, extrêmement jeune encore, et ayant à peu près l’âge que vous avez maintenant, délibérait sur celle des deux routes qu’il devait prendre, ou celle qui mène à la vertu à travers les fatigues ou celle qui est si facile à suivre, quand deux femmes se présentèrent devant lui ; et ces deux femmes étaient la Vertu et le Vice. Dès le premier abord, et même sans ouvrir la bouche, elles trahissaient par leur extérieur la différence de leur caractère. L’une faisait valoir sa beauté par tous les artifices de la parure. Elle était languissante de mollesse, et elle menait suspendu à sa suite tout l’essaim des plaisirs. Elle montrait ces objets à Hercule, lui faisait des promesses plus douces encore, et s’efforçait de l’entraîner vers elle. L’autre, au contraire, était desséchée, amaigrie, avait le regard sévère, et tenait un langage tout différent.