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CHAPITRE XXVIII.

valoir jusqu’à sa mort contre les plus gens de bien, et de détruire presque toute l’influence politique de Démosthène et de Nicias, les deux meilleurs généraux de ce temps-là, mais à qui manquait la puissance oratoire. Les autres démagogues ne furent guère que des agitateurs de bas étage, des hommes qui n’avaient pour talent que les roueries et les finesses, non usées encore, de la sophistique.


Hommes d’État.


Il ne faut point compter parmi eux Alcibiade ni Critias. C’étaient, malgré tous leurs défauts et tous leurs vices, deux hommes d’État et non point deux démagogues, deux véritables orateurs et non point deux parleurs impudents. Ajoutez qu’ils ne s’étaient pas formés à l’école des sophistes. Alcibiade avait appris à connaître les affaires dans la maison de Périclès, son oncle et son tuteur. Il n’avait pas fait grand profit des leçons de vertu que lui avait données Socrate ; mais il se souvenait de ses leçons de goût. Il parlait avec une grâce parfaite et avec infiniment d’esprit ; et un léger défaut dans la prononciation, un grasseyement un peu enfantin, l’hésitation même avec laquelle il cherchait quelquefois le mot propre, n’empêchaient pas qu’on l’écoutât avec plaisir, de même que sa morgue aristocratique et ses insolences de bon ton avaient le don de charmer les Athéniens. Mais il n’avait pas même besoin, pour réussir auprès du peuple, de se mettre en frais d’éloquence. Les Athéniens s’éprirent, dès les premiers jours, de passion pour lui : il n’avait guère qu’à former des souhaits ; on obéissait instantanément à tous ses désirs. Aussi négligea-t-il de perfectionner ses talents oratoires, et demanda-t-il ses succès à d’autres prestiges, à sa jeunesse, à sa beauté, à son courage, à sa richesse et à ses libéralités.

Critias, le tyran et le poëte élégiaque, était aussi un disciple de Socrate. L’ambition fit de lui un homme violent et sanguinaire, un sophiste au besoin, habile à couvrir de généreuses apparences les plus détestables pensées ; mais il se garda bien d’emprunter aux sophistes leur style et leur fa-