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CHAPITRE II.

de ce bois ; ou bien le traîner au plus haut point de la citadelle, et le précipiter en bas des rochers ; ou enfin le laisser là comme une magnifique offrande propre à charmer les dieux. Ce dernier avis finit par prévaloir ; car c’était l’arrêt du destin que la ville pérît, après qu’elle aurait enfermé dans ses murs le grand cheval de bois, que remplissaient tous les plus braves des Argiens, apportant aux Troyens le carnage et la mort. Il chantait comment les fils des Achéens saccagèrent la ville, versés à flots par le cheval hors de la profonde caverne où ils s’étaient embusqués. Il chantait les assaillants se ruant de tous côtés pour dévaster la ville splendide ; puis Ulysse s’avançant, comme Mars, vers la demeure de Déiphobe, accompagné de Ménélas, qui valait un dieu. Là, Ulysse, disait-il, engage bravement un combat terrible, et finit par vaincre, grâce à l’appui de la magnanime Athéné[1]. »

Une fois, il est vrai, Démodocus chante les dieux ; mais ce n’est pas, tant s’en faut, pour leur attirer le respect des hommes. Il conte les amours de Vénus et de Mars, et le stratagème de Vulcain pour les surprendre ; sujet fort peu mystique, et que l’aède traite d’un style qui n’est rien moins que grave. Ce n’est pas un hymne, à coup sûr, dans la manière d’Orphée.

Quand même il serait avéré que Démodocus, Phémius et Thamyris ne sont que des noms de fantaisie et des personnages de l’invention d’Homère, ce que pour ma part je ne saurais accorder, l’existence d’épopées plus ou moins complètes, ou, si l’on veut, d’embryons d’épopées antérieurs aux compositions homériques, et par conséquent l’existence d’aèdes épiques antérieurs à Homère, n’en serait pas moins un fait incontestable et valablement acquis à l’histoire. Mais ce fait a d’autres preuves encore que les chants mis par Homère dans la bouche de l’aède d’Ithaque et de celui des Phéaciens. Qu’on dise ce qu’il faut entendre par ces paroles que prononce l’âme d’Agamemnon, dans la prairie d’asphodèle, après l’arrivée des âmes des prétendants massacrés par

  1. Odyssée, chant VIII vers 500 et suivants.