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CHAPITRE XXXII.

rable que je ne croyais avaient pris de moi une opinion injuste, je me demandai comment je m’y prendrais pour leur montrer, à eux et à la postérité, mon véritable caractère, celui de ma vie et de mes travaux, plutôt que de me résoudre à me laisser condamner sans jugement, et à me livrer toujours, comme je venais de le faire, à la discrétion de la calomnie. J’ai pensé que l’unique moyen d’arriver à ce but serait d’écrire un discours qui fût comme un tableau fidèle de mes sentiments et de toute ma vie ; car c’est ainsi que je pouvais espérer de me faire bien connaître et de laisser de moi un monument plus beau que toutes les statues de bronze. Mais j’ai compris que, si j’entreprenais mon éloge, d’une part je ne pourrais y introduire tous les détails dans lesquels je voulais entrer, de l’autre je ne pourrais traiter cette matière de façon à plaire aux lecteurs, et même sans les indisposer contre moi. J’ai mieux aimé supposer un procès, une accusation intentée contre moi, un sycophante qui la soutient, et qui veut me perdre : l’accusateur débitant les calomnies qui se sont produites dans le procès d’échange ; et moi, dans une défense fictive, réfutant ces imputations. J’ai pensé que j’aurais ainsi l’occasion d’entrer dans toutes les considérations que je veux développer. C’est d’après ces motifs que je me suis mis à écrire ce discours, non plus dans la vigueur de l’âge, mais à quatre-vingt-deux ans. On pardonnera donc si mon style y paraît plus faible que dans mes précédents ouvrages. »

Isocrate suppose donc qu’un sycophante du nom de Lysimaque a intenté contre lui une action devant le tribunal qui jugeait les causes criminelles. Il se représente comme en danger de mort ; et l’accusation à laquelle il est censé répondre est analogue à celle qui avait été jadis fatale à Socrate. Un pareil artifice littéraire semble, au premier abord, quelque peu étrange. Mais il faut se reporter aux habitudes du temps. Isocrate n’écrivait pas pour les simples lecteurs de cabinet. Le Discours sur I’Antidosis, comme ses autres œuvres, était destiné à la déclamation publique. L’auteur prend même le soin d’indiquer aux récitateurs la meilleure façon de le faire valoir :