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CHAPITRE XXXIII.

se trouver en face de Démosthène. Ses projets, à peine éclos, étaient dénoncés à la Grèce, du haut de la tribune du Pnyx ; il voyait surgir de toutes parts des ennemis, aux accents de cette voix inspirée ; et Démosthène n’hésitait pas à engager, dans cette lutte sainte, jusqu’à son honneur même. Il recevait l’or du roi de Perse, pour combattre l’or de Philippe ; et il allait le semant par la Grèce, sans se soucier si on le soupçonnait d’en garder sa part, et de vendre aussi ses paroles. Plutarque dit, avec une évidente exagération, qu’à Chéronée, Démosthène soldat ne fut pas digne de Démosthène orateur, et que celui qui avait tant contribué à amener cette désastreuse bataille, abandonna son poste et jeta ses armes. Mais les Athéniens ne lui en firent pas un crime, soit qu’il y eût à sa conduite des circonstances atténuantes, soit qu’ils n’exigeassent point d’un homme de tribune ce qu’ils étaient en droit d’exiger d’un homme du métier, surtout d’un général, comme était Lysiclès.

Philippe mort, Démosthène essaya de soulever la Grèce contre son successeur. Mais la ruine de Thèbes montra que la Grèce n’avait fait que changer son premier maître contre un maître plus terrible. L’éloignement d’Alexandre permit aux Athéniens de se croire libres un moment, et Démosthène reconquit toute son influence. Il reçut enfin, dans le théâtre, le jour du concours des tragédies nouvelles, cette couronne d’or que Ctésiphon avait proposé jadis de lui décerner au nom du peuple, en récompense de son dévouement et de ses services.

Mais, peu de temps après son triomphe, il éprouva une amère disgrâce. Harpalus était venu à Athènes cacher le fruit de ses brigandages, et marchandait la protection des orateurs, afin qu’on lui permît de rester dans la ville. Démosthène proposa d’abord de renvoyer Harpalus ; puis il s’abstint de parler, le jour où l’on décida qu’Harpalus quitterait Athènes. Son silence, qu’il expliquait par une esquinancie qui lui avait ôté la voix, fut interprété contre lui. On l’enveloppa dans le procès intenté aux fauteurs d’Harpalus. Il fut condamné par l’Aréopage à une amende de cinquante talents[1] ; et la sen-

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