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LITTÉRATURE ALEXANDRINE.

de patience et d’application pour faire ce voyage, si difficile autrefois du propre aveu de ceux qui l’avaient accompli. Je l’ai fait à mon tour, et j’en remercie le savant helléniste. J’ai admiré l’art avec lequel M. Dehèque a su rendre visibles les ténèbres de l’Alexandra. Sa traduction est aussi claire que le comportait le sujet ; et son commentaire, plein d’une érudition à la fois abondante et sobre, ne laisse aucune difficulté sans solution. Je reviens donc de ma lecture avec une grande estime pour les talents de M. Dehèque ; mais il m’est aussi impossible aujourd’hui qu’il y a six ans de voir dans Lycophron autre chose qu’un versificateur. Ce versificateur est habile, j’en conviens : il connaît à fond tous les secrets du métier ; il imite à merveille les formes des meilleurs maîtres, et ses ïambes sont bien frappés et d’après les règles les plus sévères. Je conviens encore que la phrase poétique est artistement construite, et même que l’expression éveille à chaque instant le souvenir d’une foule de belles choses, que Lycophron avait lues, comme nous, dans Euripide, dans Sophocle, dans Eschyle. Mais je mentirais si j’allais plus loin. M. Dehèque lui-même ne conteste pas que l’idée d’écrire une tirade de quatorze cents vers et plus ne soit une idée parfaitement absurde. Encore si c’était Cassandre qui s’adressât à nous directement ! On pourrait à toute rigueur se prêter à la fiction, sauf à trouver qu’elle parle bien longtemps, et surtout dans un style bien étrange. Mais non ! la prophétesse est séquestrée loin des hommes ; et c’est un soldat qui raconte à Priam ce qu’elle a débité dans sa prison sous l’inspiration du dieu si bien surnommé Loxias. Et veut-on savoir comment ce soldat parle pour son propre compte ? voici le début du poëme : « Tout ce que tu désires savoir, je te le dirai avec exactitude, depuis le premier mot (jusqu’au dernier). Si le récit s’allonge, pardonne, ô mon roi ; car la jeune prophétesse n’a plus avec le calme d’autrefois ouvert ses lèvres harmonieuses, mais elle lançait des paroles confuses, incessantes ; et de sa bouche, qui mâchait du laurier, sortait une voix fatidique qui rappelait celle du sombre Sphinx. Tu vas entendre, prince, ce que j’ai conservé dans ma pensée et ma mémoire ; et, usant de ta