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LITTÉRATURE SICILIENNE.

Bion ! vers ta bouche ; et tu as vu le poison. Comment a-t-il passé par tes lèvres et ne s’est-il point adouci ? Quel mortel assez féroce pour t’avoir préparé du poison, pour te l’avoir donné quand tu parlais ? Il a donc échappé au charme de ton chant[1] ! » Les amis du poëte eurent du moins la satisfaction de voir punir les scélérats qui lui avaient ôté la vie : « La justice, ajoute Moschus les a tous atteints. » Moschus énumère quelques-uns des contemporains qui mêlaient leurs regrets aux siens ; et c’est là que nous voyons que Théocrite, vieux déjà sans doute, avait survécu à Bion : « Tous ceux à qui les Muses ont donné une bouche retentissante, tous les poëtes bucoliques pleurent ton destin et ta mort. Il pleure, ce Sicélidas la gloire de Samos ; et, chez les Cydoniens, Lycidas fond en larmes, lui qu’on voyait auparavant l’œil souriant, le front joyeux. Philétas gémit chez les Triopides ses concitoyens, sur les bords du fleuve Hales, et Théocrite gémit dans Syracuse[2]. »

Quant à Moschus, tout ce qu’on sait de lui, c’est qu’il était de Syracuse, et qu’il avait été disciple de Bion. Il dit en propres termes que Bion avait formé des poëtes, et qu’il est lui-même un de ces poëtes que Bion avait formés : « Pour moi, je te chante les accords du gémissement ausonien. Car je ne suis point étranger au chant bucolique. Je suis un des héritiers de cette muse dorienne que tu enseignas à tes disciples. Tu nous as fait la plus belle part de tes biens : d’autres possèdent tes richesses, mais tu m’as légué le chant[3]. »

Ce qui reste des œuvres de Bion et de Moschus n’a rien de commun, ou presque rien, avec la poésie bucolique ; et le titre d’Idylles, qu’on lit en tête de ces compositions, répond encore moins que dans le recueil de Théocrite à la définition accréditée. Ce sont des lamentations funèbres, des morceaux épiques, des fragments d’épithalames, etc. Mais il est assez vraisemblable que les chants bucoliques tenaient une large

  1. Moschus, Idylles, III, vers 116 et suivants.
  2. Id., ibid., vers 94 et suivants.
  3. Id., ibid., vers 100 et suivants.