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CHAPITRE XXXIX.

et le taureau divin n’arrive qu’au quatre-vingt-neuvième dans la prairie où la jeune fille joue avec ses compagnes ! La troisième idylle est une conversation naïve et touchante entre la femme d’Hercule absent et la mère du héros. Mégare se lamente sur la mort de ses enfants, massacrés par leur père, et sur le triste abandon où se consume sa vie. Alcmène la console en gémissant avec elle, en lui témoignant une tendresse de mère, et en lui racontant un songe qui semble présager de nouveaux malheurs à celui qu’elles chérissent l’une et l’autre. Cette idylle est, selon moi, le chef-d’œuvre de Moschus. C’est du moins la plus simplement écrite. A peine peut-on reprocher au poëte tel mot recherché, telle image trop brillante, telle comparaison trop complaisamment épuisée. Quant aux fragments d’idylles qui suivent les pièces entières, ils sont tout à fait insignifiants. Le recueil se termine par une épigramme qui témoigne avec quelle facilité Moschus se laissait aller aux idées fausses et au mauvais goût. Voici cette épigramme, qui est intitulée l’Amour laboureur : « Le redoutable Amour, ayant déposé son flambeau et son arc, prit un aiguillon à piquer les bœufs, et suspendit la besace à son épaule. Puis il attela le cou des taureaux sous le joug pénible, et il ensemença le fertile sillon de Cérès. Puis il leva les yeux au ciel, et il s’adressa ainsi à Jupiter lui-même : « Féconde mes guérets, si tu ne veux pas que je te fasse traîner ma charrue, toi taureau d’Europe ! »

Ceux qui pourraient avoir la fantaisie de comparer cet article sur Bion et Moschus avec ce que j’ai imprimé dans la première édition de mon ouvrage, m’accuseront sans doute de contradiction, et s’étonneront que je consacre aujourd’hui plusieurs pages à ces deux poëtes, quand je m’étais contenté autrefois de leur accorder trente-deux lignes. Il est bien vrai qu’autrefois j’ai insisté presque uniquement sur leurs défauts. Aujourd’hui je leur rends plus impartiale justice. J’explique ce qu’ils ont d’excellent ; je les juge en eux-mêmes ; je ne leur demande plus si impérieusement de remplir cet idéal que j’avais conçu en lisant Théocrite. On a vu d’ailleurs que je ne dissimule aucune de leurs imperfections. Je suis heureux d’avoir obtempéré ainsi aux aimables remontrances que