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CHAPITRE XLVII.

d’un courage extrême. Féroce tant qu’il habite les forêts, il s’apprivoise aisément avec les humains, et il devient leur ami fidèle. On le voit dans les prairies, dans le fond des vallées, déraciner les hêtres, les oliviers sauvages, les palmiers dont la tête s’élevait majestueuse dans les airs, et les renverser en les frappant de ces armes aiguës qui lui sortent des mâchoires. Mais, entre les puissantes mains des mortels, il oublie bientôt ce fier courage, et il dépouille toute la férocité de son caractère : il supporte le joug, reçoit un frein dans sa bouche, et se laisse monter par des enfants, qui le dirigent dans ses travaux. On dit que les éléphants parlent entre eux, et qu’il sort de leur bouche une voix articulée ; mais cette voix animale ne se fait pas entendre à tout le monde : il n’y a que leurs conducteurs qui soient en état de la comprendre. »

Je n’ai pas cité ce passage comme un de ceux qui peuvent le mieux donner une idée des mérites et des défauts poétiques d’Oppien. Il y en a, dans l’un et dans l’autre poëme, qui rempliraient plus complétement cet objet : ainsi, dans les Halieutiques, la description de l’échénéis ou rémore et celle de la torpille ; ainsi celle de la chasse au lion, dans les Cynégétiques. C’est là qu’Oppien est tout à la fois et exact naturaliste et peintre brillant ; c’est là aussi qu’il se laisse aller un peu trop à cette prodigalité dont j’ai parlé : il épuise, peu s’en faut, tout l’arsenal des images et des comparaisons poétiques, et il verse ses trésors à plein sac, comme disait Corinne à propos de Pindare. Je me contenterai d’y renvoyer le lecteur curieux de vérifier par lui-même les assertions des critiques. Mais je veux transcrire un court morceau du premier chant des Halieutiques, où Oppien est plus poëte que dans la description de l’éléphant, et où il s’est préservé, un peu mieux qu’ailleurs, de ses défauts accoutumés : « Tous les poissons, durant l’hiver, ont une extrême appréhension de ces tourmentes, de ces tempêtes, qui bouleversent et font mugir les flots : il n’est même aucun être vivant au sein des ondes qui ne redoute la mer, lorsqu’elle est irritée. Les uns restent alors tremblants et sans force dans le sable qu’ils ont creusé de leurs nageoires ; d’autres se roulent tout en masse dans les trous des rochers ; d’autres fuient, et vont chercher