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HOMÈRE.

dans la poésie d’Homère, le même mérite qu’y avait relevé le satirique latin. Les écoles en retentissaient, et saint Basile lui-même n’hésitait pas à écrire ces lignes caractéristiques : « La poésie, chez Homère, comme je l’ai entendu dire à un homme habile à saisir le sens d’un poëte, est un perpétuel éloge de la vertu ; et c’est là le but principal que sans cesse il se propose. Cela est visible surtout dans le passage où il a représenté le chef des Céphalléniens échappé nu au naufrage. Ulysse ne fait que paraître, et il frappe de respect la fille du roi [Nausicaa, fille d’Alcinoüs], bien loin d’éprouver aucune confusion de se montrer nu. C’est que le poëte l’avait représenté orné de vertu en place de vêtements. Puis après, les autres Phéaciens le tiennent en telle estime, que, méprisant la mollesse où ils vivaient, tous ils ont les yeux fixés sur lui, tous ils lui portent envie ; et il n’y a pas un Phéacien, en cet instant, qui fasse d’autre souhait que de devenir Ulysse, oui Ulysse échappé à un naufrage. Homère, en cet endroit, disait l’interprète de la pensée du poëte, nous crie, pour ainsi dire : O hommes ! appliquez-vous à la vertu ; car elle se sauve à la nage avec le naufragé, et, arrivé nu sur le rivage, elle le rendra plus digne d’estime que les heureux Phéaciens. »

Non, certes, Homère n’est ni un philosophe dissertant sur les droits et les devoirs de l’homme, ni cette sorte de prédicateur que se figuraient saint Basile et le commentateur quelconque, Libanius ou tout autre, dont saint Basile a reproduit les paroles. Platon est parfaitement fondé à soutenir qu’il n’y a pas, dans l’Iliade et l’Odyssée, un système de morale irréprochable et bien ordonné. Je m’explique qu’il condamne, au nom de la théorie pure, les prétendues doctrines d’Homère, et qu’il chasse le poëte d’une république idéale, où tout est réglé par des principes absolus. Homère n’eût guère songé à revendiquer la gloire philosophique que Platon lui dénie. Une épopée n’est point un traité de métaphysique ou de morale. Mais cette illusion vivace, contre laquelle Platon épuise en vain tous les traits de sa dialectique, était moins dénuée de raison qu’il ne lui plaît à dire. Révéler l’homme à lui-même par la création de ca-