Page:Pinot Duclos - Œuvres complètes, tome 1.djvu/193

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grande importance dans l’esprit de plusieurs de ceux avec qui l’on est obligé de vivre. Mais on ne doit pas excuser l’extrême sensibilité que des hommes raisonnables ont sur cet article. Cette crainte excessive a fait naître des essaims de petits donneurs de ridicules, qui décident de ceux qui sont en vogue, comme les marchandes de modes fixent celles qui doivent avoir cours. S’ils ne s’étoient pas emparés de l’emploi de distribuer les ridicules, ils en seroient accablés ; ils ressemblent à ces criminels qui se sont faits exécuteurs pour sauver leur vie.

La plus grande sottise de ces êtres frivoles, et celle dont ils se doutent le moins, est de s’imaginer que leur empire est universel : s’ils savoient combien il est borné, la honte les y feroit renoncer. Le peuple n’en connoît pas le nom ; et c’est tout ce que la bourgeoisie en sait. Parmi les gens du monde, ceux qui sont occupés ne sont frappés que par distraction de ce petit peuple incommode : ceux mêmes qui en ont été, et que la raison ou l’âge en ont séparés, s’en souviennent à peine ; et les hommes illustres seroient trop élevés pour l’apercevoir, s’ils ne daignoient pas quelquefois s’en amuser.

Quoique l’empire du ridicule ne soit pas aussi étendu que ceux qui l’exercent le supposent, il ne l’est encore que trop parmi les gens du