Page:Pinot Duclos - Œuvres complètes, tome 1.djvu/204

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ont encore besoin d’art, pour se la faire pardonner.

Malheureusement les hommes veulent afficher leur bonheur ; ils devroient pourtant sentir qu’il est fort différent de la gloire, dont la publicité fait et augmente l’existence. Les malheureux sont déjà assez humiliés par l’éclat seul de la prospérité ; faut-il les outrager par l’ostentation qu’on en fait ? Il est, pour le moins, imprudent de fortifier un préjugé peut-être trop légitime contre les fortunes immenses et rapides. Les eaux qui croissent subitement sont toujours un peu bourbeuses ; celles qui sortent d’une source pure conservent leur limpidité. Les débordemens peuvent féconder les terres qu’ils ont couvertes ; mais c’est après avoir épuisé les sucs de celles qu’ils ont ravagées : les ruisseaux fertilisent celles qu’ils arrosent. Telle est la double image des fortunes rapides et des fortunes légitimes ; celles-ci sont presque toujours bornées.

Je ne suis pas étonné que le peuple voie avec chagrin et murmure des fortunes dont il fournit la substance, sans jamais les partager. Mais les gens de condition doivent les regarder comme des biens qui leur sont substitués, et destinés à remplacer un patrimoine qu’ils ont dissipé, souvent sans avantage pour l’état. Il y a peu de fortunes qui ne tombent dans quelques maisons dis-