Page:Pinot Duclos - Œuvres complètes, tome 1.djvu/210

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il n’y étoit représentatif de rien. On ignoroit les commodités ; les vrais besoins ne donnent pas l’idée de celles que nous connoissons. L’imagination ne s’étoit pas encore exercée sur les plaisirs ; ceux de la nature suffisoient, et les plus grands ne coûtent pas cher ; le luxe étoit honteux, ainsi l’or étoit inutile et méprisé. Ce mépris étoit à la fois le principe et l’effet de la modération et de l’austérité. La vie la plus pénible cesse de gêner les hommes, dès qu’elle est glorieuse ; et, dans les âmes hautes, les grands sacrifices ne sont pas toujours aussi cruels qu’ils le paroissent aux âmes vulgaires. Un certain sentiment de fierté et d’estime pour soi-même élève l’âme et la rend capable de tout. L’orgueil est le premier des tyrans ou des consolateurs.

Telle fut Lacédémone, telle fut Rome dans son berceau ; mais aussitôt que le vice et les plaisirs y eurent pénétré, tout, jusqu’aux choses qui doivent être le prix de la vertu, tout, dis-je, y fut vénal ; l’or y fut donc recherché, nécessaire, estimé et honoré. Voilà précisément l’état où nous nous trouvons par nos connoissances, nos goûts, nos besoins nouveaux, nos plaisirs et nos commodités recherchées. Qu’on fasse revivre les anciennes mœurs de Rome ou de Sparte, peut-être n’en serons-nous ni plus, ni moins heureux ; mais l’or sera inutile.