Page:Pinot Duclos - Œuvres complètes, tome 1.djvu/39

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Les Considérations sur les Mœurs sont sans contredit le chef-d’œuvre de Duclos. Louis XV dit de ce livre : C’est l’ouvrage d’un honnête homme ; il auroit pu ajouter : et d’un homme de beaucoup d’esprit ; mais plusieurs littérateurs célèbres l’ont dit pour lui, entr’autres M. de La Harpe qui en a parlé en ces termes : « Le monde y est vu d’un coup d’œil rapide et perçant. Il est rare qu’on ait rassemblé plus d’idées justes et réfléchies et plus ingénieusement encadrées. Cet ouvrage est plein de mots saillans qui sont des leçons utiles. C’est partout un style concis et serré dont l’effet ne tient ni à l’imagination, ni au sentiment, mais au choix et à la quantité de termes énergiques et quelquefois singuliers qui forment la phrase, et qui tous sont des pensées. Il en résulte un peu de sécheresse ; mais il y a en revanche une plénitude et une force de sens qui plaît beaucoup à la raison[1] ». M. de Fontanes a dit du même livre : « Jamais la raison d’un sage ne se montra plus ingénieuse[2] ». Au jugement de ces deux habiles critiques on peut ajouter celui que Duclos portoit sur lui-même comme observateur et comme écrivain. Je ne regarde pas tout, disoit-il ; mais ce que je regarde, je le vois. Je n’ai point de coloris, disoit-il encore ; mais je serai lu. Il est impossible de poser d’une main plus juste les bornes de son propre mérite.

Il passe pour constant auprès de beaucoup de personnes que le mot femme n’est pas employé une seule fois dans les Considérations sur les Mœurs ; et M. de La Harpe lui-même fait mention de cette prétendue découverte. Voici l’incident qui y conduisit : on s’entretenoit dans une société de l’orthographe de Duclos, et l’on en citoit comme exemple ce même mot femme que l’auteur écrit toujours ainsi : fame. Quelqu’un parut en douter. On ouvrit les Considérations avec la certitude d’en rencontrer la preuve à chaque page ; elle ne s’offrit point : on parcourut attentivement tout le volume sans plus de succès, et l’on se crut assuré que le mot fatal ne s’y trouvoit pas. La personne à qui le fait est arrivé et de qui nous le tenons, justement surprise de ce que les femmes n’étoient pas seulement nommées dans l’histoire morale d’un siècle où elles ont joué un si grand rôle, en par-

  1. Cours de Littérature, tom. XV, pag. 267.
  2. Clef du Cabinet, mois de germinal an 5, pag. 869.