Page:Pinot Duclos - Œuvres complètes, tome 8.djvu/152

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour retourner à Paris. Cet ordre m’affligea sans savoir pourquoi ; mais j’en sentis bientôt le véritable motif : j’avois trop d’expérience de mon cœur pour n’en pas connoître l’état. Je reconnus que j’aimois plus vivement que je n’avois jamais fait. J’étois au désespoir de laisser partir la comtesse sans l’avoir instruite de mes sentimens ; heureusement pour moi, le maître de la maison l’engagea à rester encore deux jours. Je résolus bien d’en profiter, et de me déclarer avant son départ. Jamais je ne me suis trouvé dans une situation plus embarrassante. Moi, qui avois tant d’habitude des femmes, et qui étois avec elles libre jusqu’à l’indécence, je n’osois presqu’ouvrir la bouche avec la comtesse. Que les femmes ne se plaignent point des hommes : ils ne sont que ce qu’elles les ont faits. J’eus plusieurs fois l’occasion de m’expliquer avec madame de Selve ; le respect me retint toujours dans le silence. Ne pouvant enfin triompher de ma timidité, je pris le parti de lui faire connoître mes sentimens par ma conduite, sans oser les lui avouer. Je me contentai de lui demander la permission d’aller lui faire ma cour. Il me parut que ma proposition l’embarrassoit. Au lieu de me répondre positivement, elle me dit que sa maison seroit peu de mon goût ; que la retraite où elle vivoit ne convenoit guère à un homme aussi répandu que je