Page:Pinot Duclos - Œuvres complètes, tome 8.djvu/207

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

deux gardoient le silence : qu’auroient-ils pu se dire qui les décelât davantage ? Ils s’en aperçurent en même temps.

Il me semble, madame, dit M. de Saint-Géran, que ma présence vous incommode, et que madame de Luz n’est plus ce que mademoiselle de Saint-Géran étoit pour moi. Vous vous trompez, monsieur ; je vois toujours mes amis avec plaisir, et vous avez pu apprendre que M. de Luz vous avoit envoyé prier de passer ici la journée. Oui, madame, répliqua M. de Saint-Géran ; je comprends aisément qu’un tel ordre ne pouvoit venir que de lui, et que ce n’est pas à vous-même que j’aurois dû le bonheur de vous voir. Eh ! pourquoi, monsieur, dit madame de de Luz ? Ah ! madame, reprit M. de Saint-Géran, je ne sens que trop que vous avez pénétré mes sentimens, qu’ils vous déplaisent, et que vous m’en punissez. Vos sentimens ! monsieur, répliqua-t-elle ; pourriez-vous en avoir qui fussent offensans pour moi ? Hélas ! reprit M. de Saint-Géran, ils ne devroient pas l’être ! Élevé avec vous dès l’enfance, séduit par le charme de l’amitié, je me suis livré aux mouvemens de mon cœur ; aurois-je dû prévoir que ce qui faisoit alors le bonheur de ma vie, en feroit un jour le malheur ? car enfin, j’ai pour vous la passion la plus forte : je l’ai toujours eue sans doute ; et il