Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 7.djvu/142

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les enfants épuisés par quinze heures de travail pourraient-ils les fréquenter ? Les plus studieux se bornent à passer une partie du dimanche à quelque école dominicale du clergé, et l’on estime que c’est bien suffisant.

Leur misère physique va de pair avec leur misère morale. Insuffisamment alimentés, privés de toute vie de famille, il faudrait que du moins pendant leurs premières années, on pût les confier à des écoles gardiennes. Or dans le plus grand nombre des villes, il n’y en a pas. Il faudrait plus encore, qu’on les protégeât contre l’usure prématurée de leurs forces, et personne n’y songe. Dans les mines de charbon, des enfants de douze ans, garçons et filles, s’épuisent comme « hiercheurs » au fond de la bure ; d’autres, occupés toute la journée à l’ouverture et à la fermeture des portes d’aérage, au sein de l’obscurité des galeries, y contractent des déformations du squelette, ou y deviennent imbéciles. Le nombre des miliciens refusés pour cause de faiblesse, d’insuffisance de taille ou de maladies constitutionnelles, témoigne cruellement de la déchéance physique des populations industrielles. À Liége, de 1836 à 1841, il est de vingt-six pour cent, tandis qu’il ne dépasse pas quinze pour cent dans le district agricole voisin de Waremme. En 1841, sur cent houilleurs, quarante-trois, sur cent cloutiers, trente-six sont réformés. Inutile d’ajouter que parmi ces êtres chétifs, la mortalité est effrayante.

Sans doute quelques patrons, tout au moins dans la grande industrie, cherchent à améliorer une situation si déplorable. À Verviers, Raymond Biolley, près de Liège, la Société des Hauts Fourneaux de Sclessin font construire des habitations ouvrières hygiéniques. Ailleurs, des caisses d’épargne sont organisées, auxquelles l’insuffisance des salaires permet à bien peu de monde de s’affilier. Mais, en général, pour parler comme les enquêteurs de 1843, « les patrons manquent de charité »[1] et ne considèrent les travailleurs que comme des machines. Dans les ateliers mal éclairés et mal ventilés, les courroies et les engrenages que l’on ne prend pas la précaution d’engainer

  1. Enquête, t. III, p. 582.